• Sur les portables 3G, le «spam» se convertit à la vidéo



    En avance sur le marche de la téléphonie mobile, le Japon s'attend a des désagréments lies a l'intégration de la vidéo dans les nouveaux téléphones portables.

    Au Japon, des clips publicitaires indésirables pourraient envahir les écrans des mobiles haut débit.

    «Un mail sur trois était un message pirate. J'ai fini par interrompre le service.»

    Yutaka, photographe à Tokyo

    Kazue Suzuki ne pensait pas que son nouveau téléphone portable de troisième génération (3G), capable de recevoir de la vidéo, lui causerait tant de soucis. Et pourtant: la jeune secrétaire, qui a déboursé 50 000 yens (environ 500 euros) pour acquérir son terminal bleu électrique Panasonic, commence pourtant à s'inquiéter. Au Japon, on n'a pas tardé à voir des e-mails pirates envahir les écrans. C'est que les débuts de l'Internet mobile au Japon ont donné des idées aux annonceurs peu scrupuleux: bel outil pour envoyer un déluge de clips publicitaires.

    Une équipe de la firme NTT Docomo, pionnier mondial depuis le lancement de son service 3G à Tokyo le 1er octobre, s'y attendait. «Ils sont venus me voir et m'ont dit de ne pas m'inquiéter si je recevais des messages vidéo non sollicités, raconte Kazue Suzuki. Ils m'ont promis qu'un filtrage serait vite mis en place.» NTT Docomo s'apprête à ouvrir, le 19 novembre, son service vidéomobile I-Motion qui permettra de consulter des clips, des bandes-annonces ou des messages préenregistrés par des amis avec une caméra numérique. Ce service, disponible seulement à Tokyo pour l'instant, sera étendu à Osaka et Nagoya en décembre. Une aubaine pour l'industrie du divertissement et des jeux vidéo.

    Popularité.

    Mais le fait d'avoir en main un récepteur ultraperformant peut aussi virer au cauchemar. L'Imode, le protocole d'accès à l'Internet sur portable le plus populaire au Japon (il compte 25 millions d'abonnés sur 38 millions d'internautes mobiles), était déjà connu pour déborder de «spam», ces mails de pub non sollicités. «Un mail sur trois était un message pirate. J'ai fini par interrompre le service», témoigne Yutaka, photographe à Tokyo. Ces messages perturbateurs, bien connus des utilisateurs de l'Internet, proviennent souvent de services de messagerie rose qui prolifèrent dans l'archipel, comme ce fut le cas en France au début du Minitel. Satoko Naguchi a travaillé comme arbeito - intérimaire - pour une de ces messageries. Elle raconte: «Le truc est simple. On rédige des messages coquins que le service technique balance à des milliers d'adresses composées à partir des numéros de téléphone (une adresse typique Imode se compose du numéro de portable suivi de @docomo.ne.jp). Ensuite, le boulot consiste à séduire en deux ou trois phrases ceux qui répondent pour qu'ils se connectent sur notre site Imode.» Le service se rémunère grâce au pourcentage sur la communication que lui reverse NTT Docomo, et sur l'abonnement au site, facturé environ 200 yens (2 euros) par mois. Mais les gros profits viennent surtout des cyberventes de vidéos porno et autres services d'«escorte».

    La possibilité de recevoir, avec la 3 G, des messages vidéo décuple les appétits de ces annonceurs très spéciaux. «Rien de plus facile que d'envoyer des clips olé olé. A mon avis, les utilisateurs de 3G doivent se préparer à voir défiler sur leur écran des collégiennes très déshabillées», poursuit l'ex-intérimaire Satoko. La manne publicitaire ne se limite pas à l'industrie du sexe et ses dérivés. Des agences spécialisées dans la pub sur le Net mobile font déjà fortune au Japon. La société Keitai (portable en japonais), filiale de la deuxième agence de l'archipel Hakuhodo, harponne carrément les internautes mobiles. Il leur suffit, s'ils sont intéressés par un spectacle vanté par un poster ou un clip sur grand écran (très fréquents dans les centres-ville au Japon), de taper sur leur téléphone portable un numéro spécial pour recevoir tous les détails via une sorte de répondeur électronique publicitaire.

    Et ce n'est pas fini: «Le système enregistre aussi les dates, heures d'accès et localisation des gens qui nous appellent. C'est une vraie fiche d'identité électronique», déclarait le PDG de Keitai, Tatsuto Ono, au magazine de la chambre de commerce française. Cependant, NTT Docomo élimine désormais de son système les e-mails groupés dès qu'ils dépassent un certain taux de destinataires erronés. Cette sélection, approuvée le 9 novembre par le ministère des Télécommunications, permettra aussi, dès janvier, aux utilisateurs de l'Imode de limiter l'accès à leur messagerie.

    L'arrivée de la vidéo sur portable ouvre donc une nouvelle autoroute publicitaire: «Je crains déjà le pire: un déluge de clips sur les shampoings ou les crèmes de beauté, ou une séquence de strip-tease pendant que je suis en réunion avec des collègues ou des clients», s'inquiète Kazue Suzuki.

    Promesse.

    KDDI et J-Phone, les opérateurs de portable nippons rivaux de Docomo, ont promis de travailler à un tri électronique fiable avant la commercialisation de leur propre service 3G, prévu l'an prochain. Dans un Japon où n'importe quel particulier reçoit chaque matin dans sa boîte aux lettres au moins cinq ou six tracts très suggestifs pour des services de massage et plus si affinités, les premiers pas du service vidéo I-Motion risquent d'être riches... en émotions.

    RICHARD WERLY (correspondant de Liberation a Tokyo - 16 novembre 2001)