• Les débuts de l'industrie aéronautique japonaise



    A partir des années 1910 et jusqu'à la fin de la Première Guerre Mondiale, le Japon découvre l'aviation et expérimente du matériel français. Le lieutenant de vaisseau Shiro Aihara et l'attaché militaire à Tokyo Le Prieur mettent au point un planeur biplan qui, remorqué par une automobile, effectue avec succès un premier vol près du parc de Ueno en décembre 1909.

    Un an plus tard, le 19 décembre1910, le capitaine Yoshitoshi Tokugawa, de retour de France où il a obtenu son brevet de pilote, décolle pour la première fois sur l'Archipel à bord d'un Henri Farman équipé d'un moteur Gnome de 50cv. Le lieutenant Yamada poursuit ses développements dans la voie de l'aérostation sur le modèle français. En 1911, un centre d'aviation s'ouvre à Tokorozawa avec quatre avions dont deux appareils français: un Henri Farman et un Blériot. la même annèe voit les premiers vols d'avions construits au Japon, le Kaishiki n°1 (inspiré du Henri Framan) et le Narahara, tous les deux motorisés par le Gnome 50cv.


    Yoshitoshi Tokugawa et un instructeur français (1910)

    L'intérêt des autorités militaires pour l'aviation se confirme. En 1912, la marine et l'armée de terre envoient des officiers en France où sont déjà le lieutenant Yozo Kaneko et le baron Shigeno.
    Le Japon passe alors commande à la France pour deux hydravions propulsés par moteur Renault 70cv (mélange de fuselage Maurice Farman et flotteurs Henri Farman).
    Toujours en 1912, la marine impériale établit près de Yokosuka la base aéronavale d'Oihama, importe de France des monoplans Blériot et introduit des biplans inspirés de Farman.


    Hydravion Farman (1912)

    L'année suivante, le Japon importe le Maurice Farman 1913 (Renault 70cv) et le Nieuport N.G.2 monoplan, qui vont largement influencer la construction aéronaitique japonaise. En 1921, deux cent cinquante appareils auront été construits sous licence sur le modèle Maurice Farman 1913. En 1914, la Tokyo Ordnance Factory met en fabrication sous licence le moteur Renault 70cv. Pendant la guerre, l'armée de terre est équipée de quatre Maurice Farman et d'un Nieuport N.G.2; la marine, de quatre hydravions Maurice Farman. Le Japon réclame de nouveaux moyens et, finalement, confie à la France le soin d'organiser son aéronautique militaire. Une mission militaire française composée de 23 officiers et de 33 hommes de troupe s'embarque à Marseille en novembre 1918 et arrive au Japon le 15 janvier 1919. Elle est dirigée par le colonel Jacques Faure (1869-1924). Entre-temps la France accepte de livrer au Japon six Spade biplaces, treize moteurs Hispano 200cv, trois cellules Nieuport 23M2 avec six moteurs Le Rhône 80cv, ainsi qu'un ballon.


    Nieuport 29C1
    Chasseur principal de l'armée impériale dans les années 1920


    Cette mission militaire, très importante en personnel, concerne l'instruction, le matériel et tous les secteurs de l'aéronautique militaire. Sa durée est prévue jusqu'au 31 mars 1920. L'organisation mise en place par le colonel Faure comprend, outre des centres de pilotage sur avions rapides, de reconnaissance, de tir aérien et de bombardement, l'instruction des pilotes de chasse sur Nieuport et des mitrailleurs sur hydravions Maurice Farman et Tellier, ainsi que la familiarisation avec le tapis volant, la chambre noire, le viseur S.T.A.F. et le chronographe Zenith.
    Un service de fabrication et de contrôle pour produire en série l'avion Salmson 2A2 (et son moteur Salmson Z9 250cv) est mis en place avec une usine de fabrication de cellules à Tokorozawa et une fabrique de moteurs à Atsuta. Ces deux usines produisent un appareil et demi et un moteur par jour.
    La mission Faure permet aux entreprises Salmson, Le Rhône, Lorraine et Hispano, de vendres leur licences et favorise la constitution d'institutions japonaises utilisant du matériel et du personnel français. La licence du biplan Salmson et de son moteur est cédée au chantier naval de Kawasaki. le premier vol s'effectue depuis Kagamigahara en novembre 1922. Utilisé par l'armée de terre, le Salmson est fabrisué à trois cents exemplaires jusqu'en 1927 et exploité jusqu'en 1937, également par l'aviation civile.
    D'autres missions françaises suivent la mission Faure, comme celle de six ingénieurs conduite en 1922-1923 par de Boysson, qui vient construire un prototype d'avion métallique, ou celle du commandant Jauneaud, accompagné de deux officiers pour compléter l'enseignement théorique.
    Une anécdote: pour le raid Tokyo-Paris en 1925, les aviateurs japonais Abe et Kawauchi choisissent le Bréguet 19, équipé de Lorraine-Dietrich 400cv. Partis le 25 juillet 1925, ils arrivent auBourget le 28 septembre, acclamés par une foule nombreuse.
    En 1927, l'entreprise Nakajima invite deux ingénieurs français, Mary et Robin, pour fabriquer le prototype d'un chasseur monoplan de type "parasol", qui donne le chasseur type 91 construit à trois cents cinquante exemplaires. En 1930, Mitsubishi Industries fait venir l'ingénieur Vernisse pour développer un biplan de reconnaissance à faible rayon d'action pour l'armée de terre.


    Chasseur monoplan type 91
    Construit à 350 exemplaires par des ingénieurs français


    Faisant suite aux nombreuses licences acquises, le gouvernement de Tokyo se réserve dans les années 1920 celles des moteurs Gnome & Le Rhône, Hispano-Suiza, du nouveau Renault, et pour les avions, celles du Dewoitine 500, du Bréguet 460 et du Caudron.
    En mai 1933, le Japon demande à nouveau une mission militaire aéronautique à la France qui refuse pour des raisons politiques, le Japon glissant peu à peu dans la voie du militarisme. De 1934 à 1936, la société Nakajima fait encore appel aux ingéniers français Robert et Béziaud pour mettre au point un chasseur destiné à l'armée de terre. Et en 1937, la marine impériale commande à Hispano le moteur canon de 20mm (650cv) pour équiper deux chasseurs expérimentaux.
    Mais les liens franco-japonais dans le domaine de l'aéronautique vont s'estomper à partir de 1938 pour cesser définitivement au début de la Seconde Guerre Mondiale. Il ne faut cependant pas oublier que de nombreux officiers japonais de l'armée de terre sont venus poursuivre chaque année, de 1890 à 1940, leur formation à l'Ecole militaire de Saint-Cyr et à Polytechnique.
    Outre l'aéronautique, secteur fécond en transferts technologiques de la France vers le Japon, nous n'avons pas remarqué d'autres domaines particuliers de coopération pendant cette période, si ce n'est le dépôt sur l'Archipel de grandes marques de luxe, mode, bijouterie ou horlogerie.

    Notes: ce texte est issu du remarquable ouvrage de Christian Polak:
    Soie et Lumières
    L'âge d'or des échanges franco-japonais
    (des origines aux années 1950)
    Publié en 2002 au Japon
    ISBN4-573-06210-6 C1021