• Le Bain au Japon



    Pour les Français, le bain (où plutôt la douche) ne représente qu'une opération d'hygiène corporelle dont on s'acquitte rapidement le matin avant d'aller au travail. Pour les Japonais, c'est plus que cela : le bain fait partie des trois composantes essentielles de leur vie quotidienne qui sont le "manger", le "dormir" et le furo (le bain).
    Au Japon, le bain est une tradition culturelle. La première chose qu'ont réclamée les otages retenus une centaine de jours à l'ambassade du Japon au Pérou, lorsqu'ils ont été libérés, à été... un bon bain chaud.
    Au Japon, le bain se prend essentiellement le soir, avant de se coucher. Ce qui explique en partie le fait que la maison japonaise n'étant pas très bien chauffée en hiver, un bain bien chaud permet de se coucher agréablement. D'autre part, la plupart des Japonais n'aiment pas beaucoup la douche, ils ont peur d'attraper froid en se douchant.

    Pour les Japonais, un bain doit être très chaud, surtout à Tôkyô, où les vrais Edokko (version japonaise du "Parigot") tirent une certaine fierté de leur capacité à rester très longtemps dans une eau à température très élevée (jusqu'à 48°C dans certains bains publics de Tôkyô !), quitte à rapidement devenir rouges comme des homards.

    Pendant longtemps, les Japonais ont fréquenté les bains publics, qui n'ont aucun rapport avec les "bains-douches" français. Il s'agit d'établissement pourvus de deux bassins, l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes, où tout le monde se baigne ensemble. L'étiquette veut qu'avant de plonger dans le bassin on se soit soigneusement lavé au savon, puis rincé.Dans les années soixante-dix, il y avait à Tôkyô environ 2 500 bains publics. Avec l'augmentation des salles de bains chez les particuliers, l'avenir de la profession d'exploitant de bains publics est aujourd'hui assez aléatoire. Chaque jour, des établissements ferment ; en 1995, il n'en subsistait plus que 1 500 dans la capitale.

    Pour ce qui est des salles de bain à domicile, les progrès techniques ont été longs à venir. Il existe aujourd'hui des systèmes hyper-sophistiqués pour chauffer l'eau du bain (contrôle automatique de la température, réglage du niveau de remplissage, jets tournants, etc...). Mais, il y a à peine quelques décennies, les baignoires étaient presque toutes des cuves ou des tonneaux en bois munis d'un compartiment métallique dans lequel on brûlait du bois ou du charbon, ou carrément de grosses marmites en fonte chauffées au bois. Pour ne pas se brûler la plante des pieds, une grosse planche flottait dans la marmite, l'astuce étant de monter délicatement sur le bout de bois pour qu'il s'enfonce sous votre poids, et protège vos pieds du contact direct avec le fond de la baignoire ! Ce n'est que vers 1930 que les brûleurs à gaz ont remplacé le bois ou le charbon, et il a fallu attendre le début des annés soixante-dix pour que la baignoire moderne prenne un vrai essor.

    Chez le particulier, le bain se prend grosso modo de la même manière que dans un bain public. On ne change pas l'eau, qui sert pour toute la famille. D'ailleurs beaucoup de ménagères utilisent l'eau du bain le lendemain pour la machine à laver. Une fois que le bain est coulé, chacun en profite à son tour puisqu'on se lave avant d'entrer dans la baignoire — il est hors de question de s'y savonner ! Cette habitude a été à l'origine de drames épiques après la guerre, lorsque les Japonais ont commencés à voyager à l'étranger. Certains, ne connaissant pas le système qui consiste à plonger d'emblée dans la baignoire pour s'y savonner (et à patauger dans sa propre crasse), avaient cru bon de se laver soigneusement hors de la baignoire en s'aspergeant copieusement d'eau chaude pour enlever le savon.

    Bien plus qu'une fonction utilitaire, le bain fait partie chez les Japonais des plaisirs de la vie. A entendre d'aucuns s'exclamer "paradis ! paradis !" ("goku-raku ! goku-raku !") en se trempant dans une eau bouillante, on serait tenté de croire que, pour le Japonais, un bon bain chaud est ce qu'il y a de plus proche des délices de l' "au-delà".