ptitjoji
29/07/2006, 01h38
J'ai trouvé cet article cette semaine sur le site du Japan Times, qui illustre de façon intéressante les difficultés extra-linguistiques qu'on rencontre dans l'apprentissage d'une langue comme le Japonais.
D'avance, désolé pour les maladresses de traduction.
Mardi 25 Juillet 2006
Derrière l’ambiguïté
Quand 「難しい」 (muzukashii) signifie plus que “difficile”
Par ROGER PULVERS
J’aurais aimé qu’on me donne une part d’actions Google à chaque fois qu’un Japonais m’a dit que sa langue est 「曖昧の言語」 (aimai no gengo = "une langue ambiguë"). D’où sort cette étrange notion, et pourquoi plait-elle à de nombreux Japonais ? Et comment une langue peut-elle être en soi ambiguë autrement que par l’usage que chacun en fait ?
Prenons quelques situations dans lesquelles on emploie apparemment des mots ou expressions ambiguës.
Vous êtes un non Japonais à une réception avec votre épouse. Un Japonais de vos connaissances est également présent, vous l’approchez et le saluez. Quand vous demandez : 「奥様は ?」 (Okusama ha = où se trouve votre femme ?) 「ああ、家内はちょっと。。。」(Aa, kanai ha chotto = "Oh, ma femme est un peu…") répond-il d’un air entendu.
Un peu quoi ? Un Japonais pourrait vous dire qu’il y a une vraie ambiguïté dans cette réponse, la rendant difficile à comprendre pour un non Japonais. Pas intimidé par les réponses vagues, vous persistez.
Vous lancez : “J’ai cru comprendre que vous aimiez les films Canadiens. Pourquoi cela ? "
「ま、好きですね。なんとなく」(Ma, suki desu ne. Nantonaku = "Eh bien, je les aime bien. Sans trop savoir pourquoi")
Sans trop savoir pourquoi ? Et maintenant ça donnerait quoi ? Toujours pas préparé à abandonner face à ce qui semble être un individu s’exprimant de façon extrêmement trouble, vous vous lancez sur lui pour la mise à mort avec une ultime question, bien déterminé à obtenir au moins une réponse concrète de sa part.
"Alors," dites-vous, en le scrutant d’un oeil perçant, "A propos de ce travail pour moi : Allez-vous m’engager en tant que 英会話の先生 (eikaiwa no sensei = "professeur de conversation en Anglais") ? "
"Oui (Hmm)," dit-il en se grattant la nuque, 「難しいですね」 (muzukashii desu ne = "c’est difficile, je trouve")
Qu’est-ce qui est difficile ? Est-ce que pour lui, l’Anglais est trop difficile à apprendre ? Maintenant vous vous trouvez si éperdument dans le 五里霧中 (gorimuchuu = "brouillard") que vous levez vos bras de désespoir, souriez (ce qui est toujours un vague moyen de se tirer des situations délicates) et vous dirigez tout droit les かっぱ巻き (kappamaki = "maki au concombre") sur la table du buffet.
Maintenant, peu de Japonais vous diront que vous vous êtes heurté à une ambiguïté du Japonais traditionnellement employé dans les garden-parties. Il vous affirmeront que n’importe quel Japonais comprendrait implicitement que l’homme ne veut tout simplement pas s’engager quant à la raison de l’absence de sa femme ; que sa préférence pour le cinéma Canadien est un goût naturel, et que c’est pour cette raison qu’il n’arrive pas à l’expliquer ; et que muzukashii ne veut pas vraiment dire ‘difficile’ dans ce contexte-là, mais plutôt "Aucune chance, Jose"
Quoi qu’il en soit, dans les cas précédents ce n’est pas la langue elle-même mais plutôt son utilisateur qui est équivoque.
On me dit souvent que les Japonais partagent un 以心伝心 (Ishin denshin), soit une sorte de communication silencieuse par télépathie. Un clin d’œil par ci, un sourire par là, une langue légèrement tirée et vous avez toute l’information nécessaire pour écrire ‘Guerre Et Paix’. En fait, cette aptitude existe dans de nombreuses cultures.
Si il y a une différence entre les Japonais et, disons, la plupart des Occidentaux, les Japonais peuvent s’avérer plus aptes à faire des pauses et à rester silencieux. Typiquement, un Japonais peut s’effaroucher à l’idée faire des déclarations passionnées de ce qu’il aime et n’aime pas, et en particulier lorsqu’il pense que cela pourrait offenser quelqu’un.
Au lieu de vous dire qu’elle ne vous engagera pas pour lui apprendre à parler Anglais, la personne utilisera muzukahii pour adoucir la réponse.
En réalité, le Japonais n’est en aucun cas une langue ambiguë ; de plus, quand deux personnes se comprennent, peu importe à quel point leurs mots peuvent être vagues, elles communiquent de façon parfaitement concrète. Si les non Japonais ne les reprennent pas sur les significations, ce n’est pas parce que la langue prête à ambiguïté, mais probablement parce qu’ils ne sont pas familiers avec les habitudes et les conventions sociales du Japon, où le 遠慮 (enryo = "retenue") et le 気配り (kikubari = "attention portée aux sentiments d’autrui") sont pratiquement considérées comme des vertus nationales.
Un Japonais qui répond comme l’homme de la réception parle indiscutablement de façon "ambiguë" pour une raison très sérieuse. Que vous puissiez ou non deviner quelle est cette raison ne dépend pas principalement de vos capacités linguistiques mais de à quel point vous comprenez la culture, la personnalité et la psychologie de votre locuteur.
The Japan Times
(C) Tous droits réservés
Vers l'article en VO (anglais) : cliquer ici (http://search.japantimes.co.jp/cgi-bin/ek20060725a1.html)
The Japan Times web site (anglais) : cliquer ici (http://www.japantimes.co.jp/)
D'avance, désolé pour les maladresses de traduction.
Mardi 25 Juillet 2006
Derrière l’ambiguïté
Quand 「難しい」 (muzukashii) signifie plus que “difficile”
Par ROGER PULVERS
J’aurais aimé qu’on me donne une part d’actions Google à chaque fois qu’un Japonais m’a dit que sa langue est 「曖昧の言語」 (aimai no gengo = "une langue ambiguë"). D’où sort cette étrange notion, et pourquoi plait-elle à de nombreux Japonais ? Et comment une langue peut-elle être en soi ambiguë autrement que par l’usage que chacun en fait ?
Prenons quelques situations dans lesquelles on emploie apparemment des mots ou expressions ambiguës.
Vous êtes un non Japonais à une réception avec votre épouse. Un Japonais de vos connaissances est également présent, vous l’approchez et le saluez. Quand vous demandez : 「奥様は ?」 (Okusama ha = où se trouve votre femme ?) 「ああ、家内はちょっと。。。」(Aa, kanai ha chotto = "Oh, ma femme est un peu…") répond-il d’un air entendu.
Un peu quoi ? Un Japonais pourrait vous dire qu’il y a une vraie ambiguïté dans cette réponse, la rendant difficile à comprendre pour un non Japonais. Pas intimidé par les réponses vagues, vous persistez.
Vous lancez : “J’ai cru comprendre que vous aimiez les films Canadiens. Pourquoi cela ? "
「ま、好きですね。なんとなく」(Ma, suki desu ne. Nantonaku = "Eh bien, je les aime bien. Sans trop savoir pourquoi")
Sans trop savoir pourquoi ? Et maintenant ça donnerait quoi ? Toujours pas préparé à abandonner face à ce qui semble être un individu s’exprimant de façon extrêmement trouble, vous vous lancez sur lui pour la mise à mort avec une ultime question, bien déterminé à obtenir au moins une réponse concrète de sa part.
"Alors," dites-vous, en le scrutant d’un oeil perçant, "A propos de ce travail pour moi : Allez-vous m’engager en tant que 英会話の先生 (eikaiwa no sensei = "professeur de conversation en Anglais") ? "
"Oui (Hmm)," dit-il en se grattant la nuque, 「難しいですね」 (muzukashii desu ne = "c’est difficile, je trouve")
Qu’est-ce qui est difficile ? Est-ce que pour lui, l’Anglais est trop difficile à apprendre ? Maintenant vous vous trouvez si éperdument dans le 五里霧中 (gorimuchuu = "brouillard") que vous levez vos bras de désespoir, souriez (ce qui est toujours un vague moyen de se tirer des situations délicates) et vous dirigez tout droit les かっぱ巻き (kappamaki = "maki au concombre") sur la table du buffet.
Maintenant, peu de Japonais vous diront que vous vous êtes heurté à une ambiguïté du Japonais traditionnellement employé dans les garden-parties. Il vous affirmeront que n’importe quel Japonais comprendrait implicitement que l’homme ne veut tout simplement pas s’engager quant à la raison de l’absence de sa femme ; que sa préférence pour le cinéma Canadien est un goût naturel, et que c’est pour cette raison qu’il n’arrive pas à l’expliquer ; et que muzukashii ne veut pas vraiment dire ‘difficile’ dans ce contexte-là, mais plutôt "Aucune chance, Jose"
Quoi qu’il en soit, dans les cas précédents ce n’est pas la langue elle-même mais plutôt son utilisateur qui est équivoque.
On me dit souvent que les Japonais partagent un 以心伝心 (Ishin denshin), soit une sorte de communication silencieuse par télépathie. Un clin d’œil par ci, un sourire par là, une langue légèrement tirée et vous avez toute l’information nécessaire pour écrire ‘Guerre Et Paix’. En fait, cette aptitude existe dans de nombreuses cultures.
Si il y a une différence entre les Japonais et, disons, la plupart des Occidentaux, les Japonais peuvent s’avérer plus aptes à faire des pauses et à rester silencieux. Typiquement, un Japonais peut s’effaroucher à l’idée faire des déclarations passionnées de ce qu’il aime et n’aime pas, et en particulier lorsqu’il pense que cela pourrait offenser quelqu’un.
Au lieu de vous dire qu’elle ne vous engagera pas pour lui apprendre à parler Anglais, la personne utilisera muzukahii pour adoucir la réponse.
En réalité, le Japonais n’est en aucun cas une langue ambiguë ; de plus, quand deux personnes se comprennent, peu importe à quel point leurs mots peuvent être vagues, elles communiquent de façon parfaitement concrète. Si les non Japonais ne les reprennent pas sur les significations, ce n’est pas parce que la langue prête à ambiguïté, mais probablement parce qu’ils ne sont pas familiers avec les habitudes et les conventions sociales du Japon, où le 遠慮 (enryo = "retenue") et le 気配り (kikubari = "attention portée aux sentiments d’autrui") sont pratiquement considérées comme des vertus nationales.
Un Japonais qui répond comme l’homme de la réception parle indiscutablement de façon "ambiguë" pour une raison très sérieuse. Que vous puissiez ou non deviner quelle est cette raison ne dépend pas principalement de vos capacités linguistiques mais de à quel point vous comprenez la culture, la personnalité et la psychologie de votre locuteur.
The Japan Times
(C) Tous droits réservés
Vers l'article en VO (anglais) : cliquer ici (http://search.japantimes.co.jp/cgi-bin/ek20060725a1.html)
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