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Afficher la version complète : Oeuvre littéraire Japonaise - Henri Michaux : " Un Barbare en Asie "



Catinus
21/11/2005, 16h55
Je me suis ré-acheté " Un Barbare en Asie " ( vous savez comment ça va, livre prêté = sans retour ! :twisted: ).
C'est ce qu'on appelle un livre clef, une merveille incontournable, comme on dit aujourd'hui.
Henri Michaux, peintre, dramaturge et poète français a beaucoup voyagé dans sa vie.
Dans ce livre, il nous done à voir des impressions de l'Inde, de la Chine, de la Malaisie et du Japon.

Voici un site pour ceux qui veulent approfondir :
http://www.boutin-jl.net/Michaux/HM.htm

Je me suis précipité sur les quelques pages consacrées au Japon. Un voyage réalisé en 1931.
J'espère que la maison Gallimard ne m'en voudra pas trop d'en retranscrire ici quelques extraits.
Merci !

" Avertissement "

" Je relis ce barbare-là avec gène, avec stupéfaction par endroits. Un demi-siècle a passé et le portrait est méconnaissable.
( ... )
Ce Japon d'aspect étriqué, méfiant et sur les dents est dépassé.
Il est clair à présent qu'à l'autre bout de la planète, l'Europe a trouvé un voisin. "

Henri Michaux - 1984

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" C'est parce que nous sommes au Paradis que tout dans ce monde nous fait mal. Hors du Paradis, rien ne gène, car rien ne compte "

Je souhaiterais me trouver excusé par cette parole charmante de Komachi, la poétesse japonaise, d'avoir eu de mauvaises impressions du Japon.

( Henri Michaux )

" Il a manqué aux Japonais un grand fleuve. " La sagesse accompagne les fleuves ", dit un proverbe chinois. Sagesse et paix. En fait de grande paix, ils n'ont qu'un volcan, majestueuse montagne effectivement, mais enfin, un volcan, et qui les inonde régulièrement de boue, de lave et de malheurs.
Pas seulement le grand fleuve manque, mais les grands arbres, les grands espaces.
Le Japon a un climat humide et traître. L'endroit du monde où il y a le plus de tuberculeux.
Les arbres sont souffreteux, malingres, maigres, s'élevant faiblement, grossissant difficilement, luttant contre l'adversité, et torturés dès que possible par l'homme, en vue de paraître encore plus nains et misérables.
Les bambous japonais : de tristes épuisés, gris et sans clorophylle, dont Ceylan ne voudrait pas pour roseaux.
Ce qui est malingre ne trouve pas d'amis. Le cèdre doit se cacher derrière le souffreteux cerisier, le souffreteux cerisier derrière le prunier en pot, le prunier derrière le pin en dé à coudre.
Les hommes sont sans rayonnement, douloureux, ravagés et secs, serviteurs de X, de Z ou de la papatrie...
Les femmes, l'air de servantes ( toujours servir ), les jeunes, de jolies soubrettes.
Trapues, courtes, costaudes.
D'une gentillesse sans émotion.
De carctère semblable au corps : une grande nappe indifférente et insensible, et puis un petit rien chatouilleux et sentimental.
Un rire fou et superficiel, où l'oeil disparaît comme cousu, un habillement de bossue, une coiffure tarabiscotée ( la coiffure de geisha ), pleine de calculs, de travail, de symbolisme, et d'un ensemble benêt.
Une cuirasse comprimant et aplatissant la poitrine, un coussin dans le dos, fardée et poudrée, elle constitue la création malheureuse et typique de ce peuples d'esthètes et de sergents qui n'a pu rien laisser dans son élan naturel.
Des maisons grises, aux pièces vides et glacées, tracées et mesurées selon un ordre dur et intansigeant.
Des rues de ville d'eaux aux guirlandes de petites fleurs ou de petites lampes coloriées. Un air vain et transitoire. Ce côté blanc et plage de l'existence.
Des villes égales, et sans expression, terriblement klaxonnantes.
Une mentalité d'insulaires, fermée et orgueilleuse.
Une langue qui à l'entendre paraît maigre et insignifiante, à fleur de peau.
Une religion d'insectes, le culte de la fourmilière.
Pays où tout est ouvert, ou aucune porte ne peut fermer, où l'on trouve un espion même dans son bain, tout nu, mais espion quand même ( partout on vous tient compagnie ).
Peuple prisonnier de son île, de son masque, de ses conventions, de sa police, de sa discipline, de ses paquetages et de son cordon de sécurité. "

( ... )

" Je ne suis pas de ceux qui critiquent les Japonais d'avoir construit Tokyo de façon ultra moderne, d'y avoir mis plein de cafés, genre Exposition des Arts décoratifs ( Tokyo est cent mille fois plus moderne que Paris ). D'avoir adopté la nette et pure géométrie, dans l'ameublement e la décoration.
On pourrait critiquer le Français d'être moderne, non pas le Japonais. Le Japonais est moderne depuis dix siècles. Vous ne trouverez nulle part, au Japon, trace si minime soit-elle de ces prétentions stupides dans le genre de ce qu'on a appelé style Louis XV, Directoire, Empire, etc. "

( ... )

Le matériau pour tous, riches ou pauvres, et qui n'est jamais laid : le bois.
Evidemment, la géométrie moderne est froide. Celle du Japon le fut toujours. Mais ils l'ont toujours bien aimée... D'ailleurs, le Japon qui " imite " n'imite pas n'importe quoi. Il n'a pas imité le style 1900 à la molle complaisance de bourgeois satisfait. Cette idée n'est venue à aucun Japonais. Mais le style ultra-moderne est fait pour lui, ou plutôt était le sien avec d'autres matériaux. Dans les villages, si l'on construit un nouveau café, il sera ultra-moderne. Il n'y a pas d'intermédiaire.
L'Européen, après bien des efforts, est arrivé à se faire petit devant Dieu.
Le Japonais ne se fait pas seulement devant Dieu, ou devant les hommes, mais encore devant la plus petite des vagues, devant la feuille recroquevillée du roseau, devant un lointain de bambous qu'il voit à peine. La modestie sans doute recueille sa récompense. Car à aucun autre peuple les feuilles et les fleurs n'apparaissent avec tant de beauté et de fraternité. "