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Afficher la version complète : Cinéma - Film - Ozu Yasujiro et le kanji mu ( le vide, le néant )



Ikebukuro
12/06/2005, 19h03
Sur mon blog http://japon-tokyo.hautetfort.com/
j'ai rédigé une note sur Ozu et le kanji mu, celui qui orne sa tombe.

En voici une copie. Quelques photos sont dispos sur mon blog, notamment celle de mon tatouage.

Dans les années 90 j'ai visionné beaucoup de films de Ozu. Il s'en dégageait une telle serénité que je me sentais moi même apaisé en les regardant. Je traversais alors une période difficile, déprmante, où mon seul rayon de soleil était le Japon.
J'ai ensuite beaucoup lu sur ce grand réalisateur et, parmi beaucoup de points passionnants, l'un m'a particulièrement intrigué. Il s'agit du kanji ( idéogramme chinois ) gravé sur sa tombe, à Kita-Kamakura, dans le temple Engaku. Ce kanji se prononce mu et il signifie le Vide, le Néant. Attention cependant à ne pas y voir la connotation négative occidentale d'absence, de disparition mais un sens bien plus positif, oriental, qui est de faire un avec le Tout, de se fondre dans ce qui nous entoure. Difficile en effet d'imaginer un homme si humaniste, si amoureux de la vie portant pour l'éternité un symbole négatif sur sa pierre tombale.

Voulant en savoir plus sur ce fameux caractère mu, voici les indices que j'ai recueillis ces dernières années.

"Formes de l'impermanence, le style de Yasujiro Ozu" de Youssef Ishaghpour chez "De parti pris, Yellow now"
<blockquote>"Ozu a fait graver sur sa tombe mu, Rien, le mot fondamental de la pensée zen." </blockquote>

"OZU" de Donald Ritchie chez "Lettre du blanc"
<blockquote>"Sa tombe est gravée du seul caractère mu - un concept esthétique, un terme philosophique que l'on traduit généralement par "vide" ou "vacuité".</blockquote>

Documentaire de Wim Wenders Tokyo ga
<blockquote>"La tombe de Ozu ne porte pas de nom mais seulement un signe chinois ancien, mu, qui signifie le vide, rien."</blockquote>

Dans mes dictionnaires de japonais, mu est traduit par "rien, néant, négation, sans, ne pas être".


C'est en 1938 que Ozu, lors de son service militaire, demanda à un moine chinois de lui peindre ce caractère mu. Sur le site en anglais http://www.easterwood.org/ozu/062103exhibit/kamakuraexhibit2.html
on trouve la copie d'un livret d'exposition consacré à Ozu avec ce fameux kanji, celui-là même qui fut dessiné par le moine chinois et qu'Ozu garda jusqu'à sa mort. On remarquera l'aspect calligraphié trés différent du kanji dessiné dans les dictionnaire, lui même encore différent du kanji représenté sur la tombe de Ozu.


En Avril 1997, lors de mon premier voyage au Japon, je me suis bien sur recueilli sur la tombe de Ozu. De retour en France j'avais envie de me faire un tatouage sur la poitrine avec ce caractère tellement ce pays m'a profondément marqué. J'ai pourtant attendu sept longues années avant de franchir le pas, fin 2004, pour être sur et certain de vouloir être marqué à vie. Les films de Ozu condensent de façon dépouillée mes goûts, mon sens de la beauté, il a su cent fois mieux que moi exprimer ma vision du monde, c'est pourquoi je tenais à porter en moi le même signe.


Le Mono no aware
Dans plusieurs livres consacré à Ozu comme "Ozu Yasujiro" de Shiguhiko Hasumi" mais aussi dans le livre de Donald Ritchie on mentionne surtout le Mono no aware comme concept représentant la philosophie de ses films.

"OZU" de Donald Ritchie chez "Lettre du blanc"
"Les textes fondamentaux du Zen font de l'acceptation et de la transcendence du monde le point nodal de l'art de vivre qu'ils proposent, tandis que l'art narratif japonais traditionnel célèbre le monde tout en y renonçant. De nos jours on emploie souvent le terme mono no aware pour décrire cet état d'esprit ou, selon le mot de Tamako Niwa "la tristesse sereine" qui nous envahit à la vue du monde. On l'utilise également pour décrire l'acceptation tranquille d'un monde en transition, le plaisir innocent et éphémère goûté à l'activité quotidienne ou encore le contentement procuré par la précarité de sa propre existence."


Les deux termes sont bien surs complémentaires pour décrire la philosophie de Ozu, c'est pourquoi je ne pouvais parler de mu sans le mono no aware.

gigano
13/06/2005, 15h28
Après Supaiku, je découvre un autre grand amateur et admirateur de l'oeuvre d'Ozu.
Par ailleurs, j'ai fait un tour sur ton blog, très intéressant (Ah, les poèmes de Takuboku !).
Juste un mot à propos de la notion de "transcendance" appliquée par Richie. N'est-elle pas contestable (application et transposition d'une idée chrétienne à une autre civilisation) à propos du Japon ?
Les visions de Richie ont parfois été critiquées par le célèbre critique japonais, auteur d'une monographie "Ozu" publiée en France aux éditions Cahiers du cinéma.
Par ailleurs, un ancien enfant "terrible" du cinéma japonais, Kiju Yoshida (Eros + Massacre; Coup d'Etat...) a consacré de belles pages à Ozu (L'anti-cinéma). Non seulement Yoshida revient sur ses anciennes critiques contre Ozu (pour beaucoup de gens de la génération de Yoshida et d'Oshima : Ozu était accusé d'être trop figé, pas assez critique...) mais il va très en avant dans l'analyse de l'oeuvre ce grand artiste qui inspira des Wenders, des Kawase et tant d'autres cinéastes, continue d'en irriguer ...

Ikebukuro
13/06/2005, 15h54
Salut gigano,

Il est vrai qu'interpréter un film asiatique en utilisant des valeurs occidentales est risqué. Tu le dis d'ailleurs trés bien en parlant "d'application et transposition d'une idée chrétienne à une autre civilisation".

Ozu disait même que les occidentaux ne comprenaient pas ses films, c'est pourquoi ils parlaient de zen :-)

J'ai acheté le coffret de DVD de ses films en couleur, à quand ses films en noir et blanc en DVD? J'ai toujours à la maison les VHS sorties en 1997 dans la collection le siècle des lumières; il y en a un peu plus de dix mais je me languis de les voir en DVD. J'ai bien acheté quelques DVD de ces films en VOSTA mais c'est moins bien qu'en sous-titré français. J'ai cependant pris Printemps tardif qui est considéré par beaucoup comme le chef d'oeuvre de Ozu avec Tokyo Monogatari.

Passe une bonne semaine.

gigano
13/06/2005, 17h03
re-bonjour Ikebukuro,
Bonne semaine à toi aussi, et à tous les "posteurs" du forum du japon.org.
Apparemment l'éditeur et distributeur Carlotta va ressortir en salles (cet été) "Il était un père" d'Ozu, une sortie dvd est sans doute prévue dans la foulée.
Quant au cinéma d'Ozu : tout le monde est libre de l'aimer, quelque soit son origine. C'est intéressant de savoir qu'elle inspire des gens aussi divers que Wenders, Kawase, HHH... Je pense juste qu'il faut faire attention avec l'attirail du Zen etc... (Kitano rit beaucoup quand on dit que ses films - comme Sonatine - sont "Zen") parce qu'il faut avoir de solides connaissances en la matière (que je n'ai pas, personnellement, alors je m'aventure pas trop là-dessus) pour ne pas faire de contre sens.
N'oublions pas que Schrader a écrit sur la transcendance (il est lui-même très préocuppé par les questions liées à la religion chrétienne), alors quand il rapproche par exemple Dreyer, Bresson et Ozu, je dis attention...
L'argument du religieux n'est plus pertinent du tout, ni la transcendance !
Par ailleurs, je discutais avec une Japonaise à propos des films d'Ozu : elle n'y voyait que des histoires traditionnelles, de famille...
Contrairement à la vision sur la société qu'elle comprenait (perso, je ne suis allé au Japon), le côté "artiste" lui échappait complètement.
Et si on parle encore d'Ozu de nos jours, c'est aussi parce son style s'est fait une place dans le cinéma mondial, continue d'être apprécié au Japon et ailleurs.
Quand à l'une de ses actrices fétiches (Hara Setsuko), je crois que Suppaiku pourrait en parler pendant des heures. Où es-tu passé Suppaiku, déjà au Japon ?

suppaiku
17/06/2005, 17h15
(mais non, il bosse pou pouvoir repartir au Japon... :lol: ).
Echange intéressant. Et je trouve que cette Japonaise aime exactement ce que j'aime chez Ozu, et qui en est un des caractères universels : des histoires de famille !
Moi, Gosse de Tokyo, ca me touche comme mon enfance, et Bonjour, c'est comme quand je voulais à tout pris une télé couleur, et Herbes Flottantes, c'est l'annonce du dernier âge de la vie, thème O combien universel, et le goût du thé vert, c'est ce bilan que l'on fait un jour où l'autre sur sa vie et où on s'apperçoit que le temps est passé, que l'on a oublié ce que l'on aimait. Une madeleine chez Proust, du thé qui arrose le bol de riz...
Ozu m'émeut particulièrement car derrière une stylisation qui me fait penser au cinéma de Carné et Prévert (les mêmes comédiens toujours, répondant à des schémas de cractères très simple, un jeux aux antipodes du "naturel" et de la "vérité" qui seront en vogue avec la nouvelle vague), il y a une terrible simplicité du récit, comme un concentré d'essentiel. Une jeune fille ne veut pas se marier, ses parents et même la société l'y pousse. Ozu nous touche car nous avons tous connu cette situation. Le reste, la mise en scène et le jeux des acteurs, la musique, le reste est fait, comme dans un Opéra, pour aller à l'essentiel : nous sommes des êtres sensibles. L'humanisme d'Ozu est là, et cette fois à l'opposé de Carné et Prévert. Ozu ne prouve rien, il ne fait que révéler la grandeur simple de nos vies banales.
Après, le zen... je cherche, mais j'ai pas trouvé une trace de zen chez Ozu, ni au Japon, d'ailleurs. Faut chercher.
Kawase Naomi, par une voie, une esthétique différente, rejoint Ozu sur l'essentiel. Ozu, c'est pas des plans fixes (hérités du cinéma muet certainement) c'est pas une esthétique. C'est la banalité de nos vie servie par un très grand professionel, un artiste dominant l'image, le son, aussi génial que Tati dans un genre plus... français.

Ce cinéma, ça ne s'imite pas. Ca s'apprend.